Quelle Architecture pour quel Musée…?

LE MUSEE DES CIVILISATIONS NOIRES NOUS INQUIETE ! J’assistais ce jour là, à une conférence au Just For You. Je ne me rappelle plus vraiment de la date, ce devait être le samedi 09 août 2003. Un monsieur que je n’avais jamais vu auparavant venait de faire un brillant exposé sur l’architecture sénégalaise. En profane de l’architecture, des bobines toute pleines de questions se battaient dans ma tête. On parlait ici d’architecture sénégalaise. Je me disais que là, une identité était collée au débat, ce qui engageait donc toute l’histoire de notre tradition culturelle. Il ne s’agissait pas de l’histoire de l’architecture, ni de son évolution, mais de ce qui, dans notre vécu, témoigne de notre génie. J’ai cru comprendre en écoutant ce monsieur qui parlait en son nom propre, Jean Charles Tall, que l’architecture était d’une importance incommensurable dans l’histoire d’un peuple. Il semblait aussi dire qu’étant donné que l’architecture de nos sociétés précoloniales était des œuvres communautaires, nous ne pouvions parler d’architecture d’une manière similaire à ce qui paraît être l’universel. Enfin, je retînt une phrase assez cohérente qui, du reste, avait commencé à m’éclairer sur ce dont il s’agissait exactement. Monsieur Tall venait de prononcer ces mots : « l’architecture est un livre qui permet de comprendre le développement esthétique d’une société ». J’étais dès lors édifié. Il s’agissait ici de parler de l’évolution des aptitudes spirituelles et techniques d’une société : la société sénégalaise ; dans un domaine : l’architecture. Je pouvais alors me permettre de prendre la parole, ce que je fis à peine que le conférencier ait fini son exposé. Je choisis d’abord de raconter une blague pratiquement connu de tous les sénégalais. je vous la rapporte ici en l’actualisant. Le Président Wade venait de prendre le même vol que Bush et Chirac. Cinq heures plus tard, Chirac, peut-être fatigué des débats diplomatiques commença à se vanter de Paris. Paris vieille ville, Paris belle ville, Paris capitale du monde… « Qu’il sont vantards les français » se dit Bush. « Pourquoi parles-tu de Paris » ? « Nous venons de survoler la capitale de mon pays » réplique Chirac. Que c’est étonnant ! comment le savait-il ? Réponse simple : il apercevait la tour-Eiffel. Au bout de quelques heures, Bush, poussé par son orgueil, réclame l’attention la plus solennelle pour admirer New-York. Etrange ! se disait Wade. Mais il ne posa point de question. Intelligent, il devina que son ami entrevoyait la statue de la liberté. Ne se laissant point impressionné, Chirac avance : « C’est l’œuvre d’un architecte français ». Et Bush de maugréer : « y aurait pas eu le 11 septembre vous pourriez contempler les deux tours jumelles ». Pendant ce temps, Wade, ne voulant pas être en reste, comme il en est de ses habitudes, s’exclame: « nous sommes au pays de la téranga ». Quel Génie ! s’exclamèrent Bush et Chirac. Comment pouvait-il le savoir ? Et tomba une réponse inattendu et décevante : « on vient de me chiper ma montre ». On rigole, je m’indigne... Les gens pouvaient rigoler ! C’était une blague mais pour moi ce n’était pas qu’une blague. C’était une indignation. Rappelez-vous, on parlait ce jour là des aptitudes spirituelles et techniques des sénégalais dans le domaine de l’aménagement architecturale de notre environnement. N’y avait-t-il pas donc, dans cette blague, quelque chose de significatif qui méritait attention et réflexion ? Je poursuivis mon discours. - Cette blague traduit l’absence d’une architecture sénégalaise. Aucune œuvre architecturale n’est digne de représenter notre pays. Mais on me cria : - Objection : l’île de Gorée !… - Objection : la ville de Saint-Louis !… Et j’en rajoutais : - Objection : le marché Kermel !… - Objection : la porte du millénaire. Ils avaient raison quelque part, Gorée et Saint-Louis sont de véritables œuvres architecturales. Et en plus c’est de notre patrimoine qu’il s’agit, dont l’une, Gorée, est inscrite dans le patrimoine de l’humanité. Bravo ! Mais écoutez ma réplique. Le patrimoine et l’architecture coloniale en question… - L’architecture de ces deux vieilles villes ne représente en rien le génie Sénégalais. Elle n’est inspirée d’aucune tradition architecturale sénégalaise. C’est plutôt le symbole de la domination occidentale, le symbole de la puissance coloniale. Elle témoigne de la grandeur des colons, de leur capacité à ériger une architecture capable de résister à l’usure, au temps et aux intempéries. Nos ancêtres, eux, ont construit dans le périssable. C’était le banco, la boue, l’argile, les palissades, la paille. Et il n’y a eu aucune entreprise pour préserver, améliorer et perpétuer cette architecture. Qui peut nier que nos sociétés traditionnelles avaient une architecture avancée qui répondait parfaitement aux réalités de notre environnement. Mais, nous n’avons pas oser entreprendre les recherches nécessaires pour déterrer cette architecture que, dans la volonté de nous persuader de n’avoir été responsable de quoi que ce soit, même de ce qui a été créé chez nous, la domination étrangère a volontairement rangé dans le non être historique. Et nous nous glorifions de cette architecture coloniale. Nous présentons ces villes comme étant les pôles d’attraction touristique. N’est-ce pas avouer contingentement que le génie sénégalais n’existe pas ? N’est-ce pas avouer que nous n’avons rien pu et su créer qui soit digne de nous représenter ? N’est-ce pas reconnaître notre faiblesse à ne pouvoir sortir de la colonisation ? Quelle honte ! C’est notre domination, pas notre résistance et notre génie, que nous présentons à la face du globe. Qu’est-ce qui, au plan visuel, représente la résistance de nos héros nationaux. Ils ont lutté contre l’occupation. Mais nos jeunes qui apprennent cette résistance ont-ils une idée de ce qu’était la demeure de Lat-Dior Ngoné Latyr Diop ? Ont-il une idée de comment étaient constituées nos cités précoloniales ? Comment alors comprendre la décision de l’Etat d’instituer la préservation des architectures coloniales, si ce n’est que pour déprécier notre génie ? Le marché Kermel, n’en parlons même pas, c’est l’œuvre d’un architecte italien. La porte du millénaire est en soi ce qu’on pourrait appeler une socialisation de territoire. Elle a permis aux sénégalais de fréquenter, jusque tard dans la nuit, une partie de la capitale, jadis, crainte dès le couché du soleil. Au delà du jugement de valeur « c’est beau » que certains en posent, elle ne représente rien et ne laisse aucun souvenir à la mémoire, aucune histoire. Est-ce alors une œuvre architecturale aboutie ? La demeure du roi du Sine avait quatre portes dont chacune faisait face à un point cardinal. C’était chargé de sens. Mais aujourd’hui qu’est ce qui peut, dans l’architecture de notre pays, nous rappeler ce pan de notre patrimoine culturel matériel ? Quelqu’un me cria : - « nous n’avons pas une idée de la continuité. Nous devons apprendre à continuer notre histoire et ne pas supprimer les villes coloniales de notre histoire. Fort heureusement, Senghor, lui, avait une idée de la continuité ». On venait de faire un tour de table. Je pouvais reprendre la parole. Je parlais de Culture matérielle, on me parlait d’histoire. Et je continuais… Entre culture matérielle et histoire… - Je ne refuse pas que la colonisation fasse partie intégrante de notre histoire. Sauf que là, il ne s’agit pas d’histoire. Il s’agit de déceler dans notre environnement architectural, ce qui relève du génie sénégalais. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, découle d’une recherche approfondie et assez pointue de nos traditions architecturales ? En réalité nous est-il donné de parler d’une architecture sénégalaise ? En d’autres termes, existe-t-il une architecture sénégalaise ? Et vous me parlez de continuité ! Notre histoire commence-t-elle avec la colonisation ? N’avions nous pas une histoire avant la domination coloniale ? Comment habitaient ceux qui ont existé avant nous ? Présumez-vous qu’ils n’avez pas de gîte ? Les considérez-vous comme des hommes de Cromagnon ? Ce que vous appelez continuité n’était-ce pas en réalité une acculturation ? Nos dirigeants aux « soleils des indépendances » ont évolué vers ce que j’appelle la théorie du « vous aussi, nous aussi… Vous en avez, nous en avions ». Ce faisant, ils ont essayé de prouver que nous étions des humains au même titre que les occidentaux. Par conséquent, il fallait prouver que nous avions une philosophie au même titre que les occidentaux, que nous avions une littérature comme ils en avaient… que nous avions une architecture comme eux en avaient. Mais dans ce dernier cas, il y a eu problème. Plutôt que d’essayer de déterrer une soit disante architecture semblable à celle de l’Europe, qui en vérité n’a jamais existé, le discours devait plutôt être, nous sommes capable de créer une architecture comme la vôtre. Mais dommage que ce ne fût pas le cas, nous nous sommes attelés à vouloir créer une architecture dans la fouler de la comparaison. Il faut bien voir qu’aujourd’hui ce combat n’est plus d’actualité. Nous ne pouvons pas nous situer de cette même façon dans nos Afriques qui ne disposent pas de leur propre histoire, qui n’ont pas l’initiative culturelle, qui se définissent par des détours et par des médiations diverses, dans nos Afriques qui, après avoir accédé à l’indépendance s’aperçoivent, seulement maintenant, que cette indépendance reste limitée. La décolonisation était une farce. Les toubabs sont volontairement passés en coulisse pour mieux produire notre spectacle. Ce discours des indépendances que Senghor et autres ont conduit, était donc, pour une part, imitative. Et on me parle de continuité ! La véritable continuité ne consiste-t-elle pas à redonner forme à cette vieille liberté acquise. Autrement dit, nos Etats ne doivent-ils pas, actuellement, jeter un pont entre ce qui a été notre histoire d’avant et ce qui commence à être notre histoire d’après la colonisation c’est à dire recréer une sorte de continuité émancipatrice après la parenthèse de la période coloniale ? L’erreur des jeunes Etats africains… Tout au long de mon discours, je m’efforçais à ne pas verser sur des explications formulées à partir d’une vision déficitaire de l’Afrique. Je ne voulais pas qu’on ait l’impression que j’incite les architectes à s’attacher aveuglément à l’histoire, d’où l’on pouvait me reprocher une sorte de ghettoïsation et de conservatisme rétrograde. Je m’essayais tout au plus à démontrer que l’Afrique n’a pas su ou pu réorienter son histoire inscrite dans les territoires et son histoire génératrice de dynamismes culturels et de visions de la société qui lui sont propres. Je m’appliquais à décrier que nous n’avons pas su ou pu redéfinir l’inscription dans l’espace territoriale parce que les pouvoirs nouveaux d’après les indépendances ont redouté de toucher d’abord aux frontières, ensuite aux espaces politiques, et donc de réanimer l’emprise territoriale qui aurait pu avoir un sens africain. Je sous-entendais que nous en sommes restés à des découpages qui sont ceux du temps des partages et c’est sans doute ce pourquoi l’aménagement architectural ne pouvait que continuer la logique coloniale. Ce que je mettais sur notre compte en tenant ce discours, ce en quoi on pouvait voir notre faiblesse propre, c’était l’incapacité maintenue de constituer des œuvres architecturales économiquement viables et culturellement cohérentes. Mais personne n’a voulu toucher à nos traditions architecturales d’autant plus que les pressions de l’occident allaient dans le sens de la conservation des anciennes œuvres coloniales. Les grands ensembles architecturaux; qui auraient pu incarné une tradition, une symbolique, toute une richesse de forces et de dynamismes portés par une histoire et une mémoire collective proprement africaine, ne pouvaient être ressuscités. Les théories de Senghor, à justification principalement métisse, n’en étaient pas les substituts. Les idées de villes modernes nègres résistaient mal à l’aliénation culturelle, et à l’effet, à l’admiration de l’architecture de la France mère. Si l’on peut dire, les dynamiques du dedans et celle du dehors n’étaient pas encore dissociables. Tâches impératives des architectes sénégalais… Je sais pertinemment qu’on ne construit pas le présent en voulant reproduire à l’identique le passé, en tentant de recomposer les techniques établis durant l’histoire précoloniale, mais sur ce qui est adapté à nos moyens et à notre environnement, on pourrait tisser une architecture moderne. N’est-il donc pas urgent, à l’état actuel, que les architectes sénégalais se penchent sur leur histoire, sur leur passé pour mieux organiser notre environnement. La connaissance de ce passé, de cette culture matérielle, ne peut-elle qu’être bénéfique pour une politique architecturale cohérente, adéquate et digne d’inspirer le bien vivre sénégalais ? Une architecture sénégalaise ainsi basée sur des valeurs culturelles matérielles, des actions inédites et originales, ne peut-elle pas inciter à une exploitation intelligente de notre environnement et à un progrès moins troublé ? En définitive, il revient aux architectes sénégalais la lourde responsabilité de créer une architecture sénégalaise. La discussion était intéressante mais malheureusement le temps qui nous était imparti ne permettait pas d’épuiser la question. En tout cas merci au Just For You de nous avoir offert cette tribune. Au sortir de cette conférence, je m’étais retrouvé au milieu d’un cercle d’intellectuels. Les sujets débattus étaient des plus intéressants. Puis nous avions décidé d’aller manger un bout à L’Impasse. A quatre heures et demi du matin, je me trouvais enfin chez moi. Mais imaginez qu’une telle soirée ne puisse m’ensommeiller. Les bobines de questions m’éclataient encore le crâne. Je me mis alors devant la machine. Et rebelote… Le scandale du 18 juillet 2003… J’aurais bien aimé continuer l’histoire de la conférence et vous rapporter les brillantes contributions de l’assistance mais sans vous mentir, je ne m’en rappelle plus vraiment. Veuillez m’en excuser. Peut-être que dans lignes qui suivent des bribes m’en reviendront et je vous en ferais part. J’étais alors devant la machine. La conférence dont je viens de vous faire un résumé, était organisée du fait de l’actualité d’un des grands projets du Chef de l’Etat : le Musée des Civilisations Noires. Un matin, le Matin nous révélait dans ses colonnes que la maquette qui avait été présentée à la pose de la première pierre de ce musée, avait été réalisée pour un stade dans les pays arabes. Scandale ! Tout le monde était terrifié. Entre les débats dans les radios, les articles de presse, et les conférences, une question était constante : comment oser présenter la maquette d’un stade de football pour un musée des civilisations noires ? Mais avant d’avancer dans ce débat, permettez-moi de faire un pas en arrière. J’aimerais tenir ma promesse de continuer l’histoire de la conférence si des bribes m’en revenaient. Je me rappelle que cet après-midi ensoleillé de ce même samedi, une architecte sénégalaise m’avait défiée de lui expliquer la différence entre l’œuvre d’un architecte contemporain sénégalais et celle d’un architecte contemporain japonais. Elle parlait d’architecte japonais parce que je soutenais dans mon discours, que n’importe quel pays se respectant avait son architecture reconnaissable au premier coup d’œil. J’avais parlé des pays asiatiques et en particulier du Japon en soutenant que n’importe quelle rue de ces pays était reconnaissable à première vue. Pour preuve dans les films américains, on ne nous indique pas l’Asie en sous-titre. Il suffit que la caméra fasse un panneau sur une rue, et nous autres spectateurs, comprenons que cette séquence se passe dans un pays ou un quartier asiatique. J’en déduisais : - L’architecture est une fonction essentielle qui représente un peuple là où il n’est pas. Mais à cela, Madame, professionnelle de son état, restait persuadée de l’universalité de la contemporanéité architecturale. Elle insistait à me lancer ce défi. Sans doute pensait-elle que je ne pouvais argumenter en faveur d’une sensibilité authentiquement sénégalaise qui permettrait au sénégalais de créer des œuvres architecturales ségalaisement sénégalaise. Mais, je ne pouvais relever son défi sur le moment, elle était la dernière intervenante et monsieur Tall Jean Charles devait reprendre la parole pour clôturer le débat. La séance était levée. Les gens continuaient à parler sous la grande case et tout au tour. Je m’avançais pour aller au toilette, mais je ne le fis pas sans m’arrêter devant madame en question pour lui signifier que je ne fuyais pas son défi et que j’allais le relever. Je prévoie d’ailleurs avec votre permission de lui envoyer une copie de cette histoire. Après m’être soulagé, comprenez que des heures de discussion m’avaient empêché de vider le vessie, je revint auprès d’un de mes amis pour m’arranger avec lui de l’heure à laquelle nous allions nous retrouver, devant me rendre à l’autre bout de Dakar pour y rencontrer quelqu’un. Nous avions convenu de nous retrouver au même endroit dans les deux heures qui suivaient. Me voilà parti. Confortablement installé dans le taxi, je sortis mon cahier que je traîne partout pour relever mon défi. Le Contemporain en question… Elle me parlait de contemporanéité. Dans les termes de son défi, se révélait l’idée selon laquelle le contemporain est universel. Elle en concluait donc l’impossibilité de faire une différence entre un sénégalais et un japonais architectes. Ces gens bien qu’appartenant à des cultures différentes, partageraient la même contemporanéité et devrait par voie de conséquence produire des œuvres similaires ou presque. Ne voilà-t-il pas là, soulevé tout le débat sur l’universel ? Si le contemporain est partagé par le monde entier, cela voudrait dire que l’identité culturelle n’existe plus. Mais comment était-ce possible ? Puisque la conférence portait sur l’architecture sénégalaise et non sur l’Architecture au Sénégal. L’identité culturelle n’est donc pas morte. …approche historique du contemporain Si le Contemporain doit être considéré comme un universel immuable et que l’idée du Contemporain change d’âge en âge, alors ne faut-il pas voir, un âge ou un autre, que les deux aient tort ? En fait, comme aucune époque passée n’a eu tout à fait l’idée du Contemporain qui prévaut aujourd’hui, ne devrait-il pas s’en suivre ou bien que nous avons tort dans tous nos jugements, ou bien que toutes les époques passées se sont trompées ? Confrontés à ce dilemme et incapables de prendre la première hypothèse au sérieux, les « contemporanéistes » n’ont-ils pas donc tacitement pris la seconde à leur compte, quelque soit sa prétention ? Evidemment, cette deuxième hypothèse va dans le sens de la croyance occidentale au progrès, une croyance qui implique que toutes les époques passées s’efforçaient de devenir ce que nous sommes. Pourtant n’est-il pas vraiment difficile de prétendre que les gens du passé se trompaient quand ils vivaient leur vie sur terre comme nous vivons maintenant la nôtre ? Si d’un autre côté, nous admettons que le contemporain est relatif et qu’il change avec le temps, alors, ne pouvons nous pas considérer que chaque époque a raison en son temps et à sa manière. Le contemporain de nos ancêtres n’est-il pas devenu passé de notre époque, et notre contemporain n’est-il pas condamné par l’histoire à devenir le passé d’une génération à venir ? Dans cette perspective le Contemporain tel que c’est présenté dans ce défi, ne perd-il pas son sens ? …approche sociale du contemporain : le conditionnement Si nous admettons que nous prenons pour des normes de valeurs objectives ce que nous avons été conditionnés à prendre pour tel. Un japonais peut-il créer, quelque soit la prétention du terme utilisé, contemporain - universel – mondialité ou tout ce que vous voulez, une œuvre architecturale d’une sensibilité sénégalaise ? L’être humain est conditionné par de nombreux facteurs. L’un d’entre eux est la tradition culturelle dans laquelle il vie. Par exemple, dans la tradition occidentale en général, toute architecture qui naît de l’héritage gréco-romain, est acceptable comme architecture et correspondra donc, à un certain degrés, à leur sensibilité. Outre l’influence de la tradition, il y a des facteurs comme la classe sociale ; l’appartenance ethnique ; la région aussi a une influence : les habitants de certaines régions du Sénégal sont plus susceptibles d’apprécier le Wango que les habitants d’autres. Le sexe, l’âge, la santé mentale et physique aussi sous-tendent et façonnent l’être humain. Même au sein de groupes relativement restreints et bien définis, comme disons les membres d’une promotion d’architectes, il y aura des différences de création qui reposent sur des formations individuelles névrotiques. Le désir de l’un d’être en accord avec ses parents, le désir d’un autre d’être en désaccord avec eux, et ainsi de suite. Je ne dis pas aussi que le conditionnement implique que tous les membres d’une culture seront d’accord comme des robots programmés : il limite tout simplement le riche ensemble des options disponibles au sein d’une culture donnée. On voit bien ici que même les membres d’une même société, d’une même promotion, voire d’une même famille ne peuvent pas créer les mêmes choses. Puisque l’ensemble des options mentales d’une culture change sans cesse et est toujours disponible pour des modifications, Il est important de reconnaître que le conditionnement peut-être modifié et assoupli par ceux qui veulent se former et suivent leurs intérêts propres. Comment alors oser soutenir qu’un japonais et un sénégalais même s’ils vivent au même moment historique (21e siècle) pourraient créer les mêmes œuvres architecturales ? …approche culturelle du contemporain Il y a une seconde approche de la question non plus à travers l’histoire mais en terme de cultures coexistant dans le même temps. Ici encore on voit des variations locales frappantes dans la notion d’architecture. L’idée d’une bonne œuvre architecturale change de Kinshasa à Bombay. Il s’en suit les mêmes alternatives que précédemment : ou bien certaines cultures ont raison et d’autres tort, ou bien l’Architecture n’est pas un universel immuable mais une réalité subjective projetée sur l’environnement. La solution occidentale classique, caractéristique de l’époque coloniale, consistait à dire que toutes les cultures, à l’exception de la culture occidentale avaient tort. Pour être objectif plutôt que subjectif, un tel jugement devrait être formulé depuis quelque lieu extra-culturel jouissant d’une vue claire sur toutes les cultures, y compris sur la culture occidentale, une culture inaccessible à l’intérieur d’une de ces cultures. A l’évidence aucun point de vue de cette sorte n’est accessible aux êtres humains. La position qui s’impose donc consiste à dire au contraire que la réalité de la contemporanéité change de culture en culture, comme elle le fait d’époque en époque, et qu’aucune conception de la contemporanéité propre à une culture ou à une époque ne peut prétendre à une validité universelle. Puiqu’aucun ensemble de preuves observables n’a jamais été apporté en faveur de l’idée d’universalité de la contemporanéité, je ne vois pas d’échappatoire à la position précédente, sauf à prendre ses désirs pour la réalité. J’étais de retour au Just For You. Mon ami s’était entre temps entouré de gens. Il n’y avait plus de place autour de la table, je pris donc une chaise et me mis à l’écart. là, isolé, je pouvais continuer ma réflexion. L’architecture, une fonction politique… Monsieur Jean Tall pour démontrer l’importance de l’architecture dans une société, expliquait que l’architecture restait un domaine réservé aux gouvernants. En fait, les dirigeants pour donner une certaine image à leur pays instituent des lois que sont tenus de respecter les architectes. Ce faisant, ils ont une emprise dans la gestion de l’environnement et dans l’aménagement du territoire. C’était vrai. Prenant la parole à ce propos, je déclarais : - Les grecs de l’antiquité construisaient en hauteur. Plus particulièrement, les lieux de culte étaient toujours très élevés. Ce n’était pas rien. Cette élévation avait pour fonction de rendre l’homme petit devant la divinité. Cela participait de la construction du mythe religieux de la grandeur de l’omniscient, l’omnipotent, l’omniprésent. Les colons au Sénégal avaient volontairement occupé la partie la plus haute de Dakar. Ils y avaient construit une architecture élevée. Ce n’était pas rien non plus. Cela correspondait à une volonté d’affirmation et de domination. La fonction principale était d’inférioriser les autochtones. Ce n’était là que la continuité de leur tradition culturelle matérielle. C’était, assis sur ma chaise, à l’écart de mes amis qui se racontaient des histoires que je repensais à tout cela. De temps à autres, je leur prêtais oreille, je rigolais puis revenais dans mes pensées. Bientôt j’entendis une jeune femme me parler : - Vous prenez quelque chose monsieur ? Et mes amis d’ajouter : - Mais ou est-ce que tu es ? es-tu avec nous ? Je répondis que j’étais en voyage, on rigolât, et je continuais dans la même posture, ressassant ça et les là des idées diffuses dans ma tête. Ensuite retournant à la fonction politique de l’architecture, je me demandais si on pouvait faire confiance à nos politiques dans la charge de conduire l’aménagement architectural de notre pays. En même temps cependant, je me dis qu’on pouvait faire confiance aux forces qui contrôlent la société autour de nous, qui sont en elles-mêmes des agents de conditionnement puissants, pour utiliser leur position dans le sens du développement de leur propre programme. Je venais de comprendre le point de vue du conférencier sur la responsabilité politique. Je me dis : - Voilà pourquoi les œuvres architecturales sont sujettes à l’influence des forces comme celles que Théodore Adorno appelait les forces de l’industrie de la culture et Louis Althusser celles des appareils idéologiques d’Etat. Le système d’architecture qui prévaut dans une société est en partie un outil idéologique dissimulé. Toutes les œuvres architecturales étant historiquement conditionnées, comme le soutenait monsieur Tall, ont en partie, une portée idéologique et sont ainsi susceptibles de changer pour des raisons sociales. Me voilà enfin éclairé sur la position de madame l’architecte. Il m’en a fallu du temps. En fait, je conclu ici que c’était l’avantage des pays économiquement puissant de présenter leur propre critères comme éternels et universels. Voilà pourquoi elle parlait en terme de contemporanéité. Je finissais de ruminer ces mots quand la serveuse me présenta gracieusement mon verre de bissap-djindjer. J’en pris une gorgée, alluma une cigarette et lui dis : - Faites attention madame. - A quoi ? Répondit-elle. En réalité, ce n’étais pas à elle que je parlais. J’étais tellement plongé dans mes pensées que j’en étais arrivé à monologuer. Je lui demandais pardon et continuais à m’entretenir, dans le but de relever le défi, avec madame l’architecte qui avait quitté les lieux depuis 19 heures. Je lui disais : - Faites attention madame ! La notion de contemporain est politique. Mais cela ne signifie pas que ses critères architecturaux ne sont pas valides ; les pays développés quels qu’ils soient, pour rendre leur système le plus convaincant possible, peuvent faire usage des sensibilités les plus au point pour rassembler le monde entier autour de la structure qu’ils veulent. Face à cette situation qu’on appelle mondialisation, nos œuvres architecturales doivent rester une expression très réelle de la sensibilité de notre culture, une manière de conduire à ce qui pourrait être appelé notre personnalité ou notre âme. N’entendez pas par là, un carcan, quelque chose de rigide et d’inflexible mais comprenez plutôt une entité qui change et qui est contingente. Je me disais que c’était peut-être trop tard et que madame du défi de cet après-midi de samedi ensoleillé ne m’entendais pas. Mais je tenais à être quit avec ma conscience. Voilà qui était fait. J’avais alors cru en avoir fini de me torturer l’esprit avec ce sujet, en réalité, j’étais revenu pour m’amuser pas pour réfléchir. Mais que ce ne fût possible quand je me rendit compte que je venais de conclure que l’architecture construisait notre personnalité. Je me demandais alors quelle était la personnalité qu’on pouvait espérer de cette maquette qu’on nous avait présenté pour le musée des civilisations noires ? Souvenez-vous, je mettais mis à la machine à quatre heures et demi du matin et j’avais entrepris de vous parler d’un des grands projets du Chef de l’état à savoir le musée des civilisations noires. Et nous en étions à ce matin du scandale du Matin. Le problème portait sur quelle architecture pour ce musée. D’autres voix s’étaient élevées avant la mienne pour remettre en cause cette idée. Résultat, le Soleil avait annoncé à la première page de sa livraison du lundi 04 août 2003 le « rejet du projet d’Atépa ». Le conseillé du président de la République pour la Culture monsieur Mamadou Traoré Diop, avait déclaré le dimanche 03 août 2003 : « le projet actuel (celui qui avait été présenté lors de la cérémonie de pose de la première pierre, le 18 juillet dernier à Dakar) n’est pas l’image retenue pour le musée. C’est une esquisse préliminaire, c’est-à-dire une hypothèse de départ ». (voir la page 2 du Soleil du lundi 04 août 2003). Je pense avoir, dans les lignes précédantes, expliqué l’impératif qu’il y avait à créer une architecture sénégalaise. Je pense aussi vous avoir dit que l’architecture est une expression très réelle de la sensibilité d’une culture, une manière de conduire à ce qui pourrait être appelé sa personnalité ou son âme. cela devrait être suffisant en terme de mobile pour me permettre de disserter sur l’architecture du musée des civilisations noires. Mais puisque d’autres se sont déjà prononcés et ont abouti au retrait de ce projet d’architecture, Je ne ferais donc que poser une problématique : - L’architecture du musée des civilisations noires ne doit-elle pas être, en soi, un produit des civilisations noires ? (à suivre)
Pierre Hamet Bâ Chercheur en Anthropologie

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